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L’équithérapie à l’école : une approche innovante pour soutenir les élèves en difficulté d’apprentissage

Comment prendre soin d’élèves en difficulté d’apprentissage avant que ces fragilités ne se transforment en rupture avec l’école ? Cette question, au croisement de l’éducation, de la santé mentale et du lien social, constitue un enjeu central pour les sciences sociales. Celles-ci s’intéressent de plus en plus aux dispositifs éducatifs et thérapeutiques innovants pour analyser les reconfigurations des pratiques d’accompagnement, en particulier lorsqu’ils mobilisent des formes alternatives de médiation (Fournier Chouinard, 2021 ; Rojo et Bergeron, 2021). L’équithérapie, fondée sur la relation entre l’humain et le cheval, permet d’explorer de nouvelles modalités d’interaction, de régulation émotionnelle et de revalorisation de soi. Elle interroge la manière dont des médiations, notamment non verbales, corporelles et interespèces peuvent contribuer à soutenir des processus de transformation individuelle et sociale, notamment en contexte scolaire.

D’abord réservée aux personnes en situation de handicap, l’équithérapie a élargi son champ d’action : elle s’impose progressivement dans le domaine éducatif, en accompagnant désormais un public plus large, incluant enfants et adultes confrontés à diverses difficultés émotionnelles, comportementales ou sociales (Elies, 2022 ; Badel, 2017). Quelles sont les spécificités de cette approche et en quoi peut-elle être bénéfique aux élèves en difficulté d’apprentissage ? Dans le cadre scolaire, comment s’assurer que ses effets soient repérables et articulés entre les sphères thérapeutique, scolaire et familiale ?

Depuis 2013, un dispositif expérimental d’équithérapie a été mis en place dans six écoles privées sous contrat en Haute-Garonne pour prévenir le décrochage scolaire et réduire les difficultés d’apprentissage des élèves de 5 à 8 ans. Ces élèves participent à des séances bimensuelles animées par une équithérapeute psychologue de l’éducation, pour surmonter des difficultés liées à l’engagement scolaire, l’inattention, l’impulsivité, ainsi que des problèmes émotionnels et de confiance en soi.

L’évaluation du dispositif repose sur deux recherches complémentaires : la première, menée entre 2020 et 2024 par Jacquet-Galiacy au laboratoire CERES (Institut Catholique de Toulouse), et la seconde, réalisée par Parsy (2022) dans le cadre d’un mémoire de Master 2 PEOD à l’Université Toulouse 2 Jean-Jaurès. Ces études analysent comment l’équithérapie soutient les dimensions émotionnelles, relationnelles, cognitives et psychomotrices des élèves. Elles soulignent également l’importance d’une coordination systémique entre les sphères scolaire, familiale et thérapeutique pour renforcer l’efficacité et la durabilité du dispositif. Ces recherches interrogent ainsi les conditions concrètes d’une prise en charge intégrée, préventive et adaptée aux besoins singuliers des élèves.

Clarification terminologique : La médiation équine et ses pratiques

Selon l’Institut français du cheval et de l’équitation, la médiation équine à visée thérapeutique, éducative et sociale, désigne l’utilisation du cheval dans un cadre qui cherche à accompagner des individus confrontés à des difficultés émotionnelles, comportementales ou sociales, sous la supervision de professionnels qualifiés. Contrairement aux activités sportives, l’objectif ici n’est pas d’apprendre l’équitation, mais d’utiliser l’interaction avec le cheval comme un moyen de soutien dans des processus de soin ou d’accompagnement social.

Dans ce cadre, l’équithérapie se distingue par son approche psychocorporelle, visant à traiter des troubles émotionnels ou psychologiques en utilisant les interactions physiques et émotionnelles avec le cheval. Elle est pratiquée par des professionnels du secteur médico-social tels que des psychologues, thérapeutes ou psychomotriciens. L’hippothérapie, quant à elle, se concentre sur la rééducation motrice, en utilisant les mouvements du cheval pour améliorer la motricité et l’équilibre, encadrée par des kinésithérapeutes ou des ergothérapeutes. L’équicie englobe des interventions visant des actions éducatives ou sociales, souvent utilisées pour soutenir des programmes pour les jeunes en rupture scolaire ou pour les personnes âgées, réalisées par des professionnels socio-éducatifs.

L’équithérapie comme approche pertinente dans le cadre des difficultés d’apprentissage

Dans le contexte scolaire, l’équithérapie se révèle particulièrement pertinente pour les élèves rencontrant des difficultés d’apprentissage temporaires, souvent liés à des facteurs externes (environnement familial, socio-économique) ou internes (émotionnels, cognitifs). Contrairement aux troubles de l’apprentissage, qui sont persistants et neurologiques, ces difficultés peuvent généralement être surmontées grâce à des ajustements pédagogiques. L’équithérapie, par son approche holistique, soutient le développement psychologique, corporel et social des élèves. L’interaction avec le cheval, en tant que médiateur, crée un environnement multisensoriel favorisant des processus thérapeutiques grâce aux capacités sociales de l’animal (Roussillon, 1988), et stimule les aspects affectifs, émotionnels et relationnels des élèves dans un cadre sécurisé.

Les deux études menées par Jacquet-Galiacy (2024) et Parsy (2022) sur un dispositif expérimental d’équithérapie dans le cadre scolaire montrent que cette approche aide les élèves en difficulté d’apprentissage à gérer leurs émotions et à renforcer leur confiance en eux, ce qui renforce leur engagement scolaire. Ces deux recherches, basées sur des grilles d’observation et pour l’une d’entre elle, sur des entretiens semi-directifs, montrent également qu’elle améliore aussi leur capacité à comprendre et exprimer leurs émotions, compétences cruciales pour leur développement social et académique. Sur le plan psychocorporel, l’équithérapie soutient la motricité, la coordination et l’intégration du schéma corporel à travers des exercices pratiques comme la montée à cheval et les activités au sol. Ces activités renforcent la perception du corps, l’autonomie et l’autocontrôle, compétences nécessaires pour les apprentissages scolaires. L’équithérapie aide aussi à développer des compétences cognitives telles que la concentration, la mémorisation et l’attention.

L’équithérapie favorise aussi le développement de compétences sociales, telles que la coopération, la collaboration et l’empathie. Les interactions avec le cheval et les autres enfants dans un cadre thérapeutique créent un environnement favorable à la socialisation, ce qui motive les élèves à participer activement aux activités scolaires et facilite leur intégration au groupe. Le dispositif d’équithérapie observé repose sur un cadre structuré en quatre étapes : 1) accueil et observation des poneys, suivis de la rencontre avec l’élève et son poney ; 2) pansage, soins du poney et mise au travail ; 3) récompense ; 4) clôture et bilan avec retour parent/enfant. Ces étapes, inspirées des concepts de holding et handling de Winnicott, sont ritualisées pour aider l’élève à se repérer dans la chronologie des actions, renforçant ses compétences émotionnelles et sociales, et facilitant ainsi son processus d’apprentissage.

Cas clinique

C. Parsy illustre l’efficacité de l’équithérapie dans le développement psychoaffectif d’un élève à travers un cas clinique : J., une élève de six ans scolarisée en cours préparatoire présente des difficultés d’apprentissage, notamment un manque de persévérance et des problèmes relationnels. J. éprouve des difficultés à interagir avec ses pairs et à réguler ses émotions. Dès la première séance, elle exprime le désir de participer à l’équithérapie pour retrouver ses amies. Lors du choix du poney, J. sélectionne un poney blanc, mais celui-ci préfère interagir avec d’autres poneys, ce qui suscite chez J. un sentiment de rejet, exprimé par des remarques comme « Pourquoi il ne veut pas se laisser caresser ? » et « Il ne m’aime pas hein ? ». La psychologue l’accompagne pour l’aider à trouver une solution à ce ressenti.

Au fil des séances, J. montre progressivement plus de motivation. Lors de la deuxième séance, elle est enthousiaste, bien que la relation avec le poney soit difficile au début, car elle tenait la longe à distance et était peu autonome lors du travail à pied. Cependant, J. commence à surmonter ces obstacles grâce à l’apprentissage vicariant, en observant et apprenant de l’exemple des autres. À la cinquième séance, elle devient plus autonome : elle demande de l’aide, écoute son poney et commence à mieux réguler ses émotions.

La psychologue utilise des principes de handling et holding (Winnicott). Le handling se manifeste par des activités comme brosser et nourrir le poney, ce qui aide J. à développer des compétences émotionnelles et à se calmer. Le holding, à travers le travail monté, soutient J. dans la gestion de sa peur et l’accompagne physiquement et psychologiquement, semblable à la relation mère-enfant décrite par Winnicott.

Vers la septième séance, J. surmonte sa peur du travail monté, et des exercices de relaxation, motricité et direction renforcent son bien-être et sa confiance en elle. À la dixième séance, J. exprime une amélioration notable : « Je vais mieux depuis que je viens ici et je veux continuer l’année prochaine, car l’école c’est plus facile maintenant ». L’enseignante constate également des progrès, notant que J. est désormais plus posée et moins agitée.

Bien que les observations directes et l’étude de cas montrent les bénéfices psychologiques de l’équithérapie, il est essentiel d’examiner le fonctionnement systémique du dispositif pour identifier les obstacles qui pourraient limiter son efficacité à atteindre l’objectif de prévenir les difficultés d’apprentissage durables des élèves.

Fonctionnement systémique du dispositif

Pour Jacquet-Galiacy, le dispositif d’équithérapie repose sur une approche systémique intégrée, réunissant trois sous-systèmes interconnectés : l’espace thérapeutique (élève, poney, équithérapeute), l’espace scolaire (élève, enseignants) et l’espace familial (élève, famille). L’objectif est de coordonner les efforts des différents acteurs pour répondre aux besoins des élèves en difficulté d’apprentissage. Toutefois, une étude exploratoire menée par Jacquet-Galiacy en 2021 n’a pas révélé de lien direct entre l’équithérapie et la remédiation des difficultés scolaires, la sphère thérapeutique opérant souvent séparément des sphères scolaire et familiale.

Pour améliorer cette coordination, un outil de suivi a été développé pour fluidifier les échanges entre ces trois sphères et assurer un suivi global des progrès de l’élève. Cet outil repose sur une grille divisée en quatre axes : cognitif, émotionnel, psychomoteur et social. Chaque axe est évalué à travers des indicateurs mesurables et des paliers allant de l’aide indispensable à l’autonomie. Un bilan qualitatif et un questionnaire d’auto-évaluation de l’élève complètent cette évaluation, permettant un suivi continu et l’analyse de l’impact de l’équithérapie sur les difficultés d’apprentissage. La grille est mise à jour deux fois par an lors des réunions de l’équipe éducative et l’outil est partagé numériquement entre les acteurs, offrant une vision intégrée de l’évolution de l’élève (outil disponible ici : https://urls.fr/iDZ_fH). À long terme, il pourrait être adapté pour un suivi longitudinal, permettant d’analyser l’évolution des élèves après leur participation au dispositif.

Perspectives

Les séances d’équithérapie ont montré des bénéfices notables pour les élèves en difficulté d’apprentissage, notamment sur les plans émotionnel et social, ce qui a contribué à leur bien-être et leur engagement scolaire. Cependant, le transfert de ces progrès vers les sphères scolaire et familiale demeure parfois difficile à percevoir en raison d’un manque de coordination entre les différents acteurs impliqués dans le suivi de l’élève.

Pour améliorer cette situation, un outil de suivi a été mis en place pour relier les sphères thérapeutique, scolaire et familiale, rendant ainsi les progrès plus visibles. Toutefois, cet outil seul ne garantit pas l’efficacité globale du dispositif. Une coordination renforcée entre les acteurs et un portage politique solide sont essentiels pour garantir la durabilité du dispositif

Bibliographie

  • Jacquet-Galiacy, M. (2024). « Équithérapie et prévention des difficultés d’apprentissage : vers un outil d’évaluation systémique des effets d’un dispositif ». Nouvelle revue éducation et société inclusives, n°101, Sept. 2024, pp.217-239.
  • Parsy, C. (2022). Quand le poney murmure aux oreilles des élèves décrocheurs. Mémoire de master 2 professionnel (PEOD) de psychologie parcours éducation, orientation et développement, Université Toulouse Jean Jaurès.
  • Badel, J. (2017). Pratique de la thérapie assistée par l’animal dans le champ de la psychiatrie et de la santé mentale : exemple de l’équithérapie. Thèse de doctorat, Université de Lille 2, disponible à l’adresse suivante : https://pepite-depot.univ-lille2.fr/nuxeo/site/esupversions/6715e403-c6db-4f7b-a85d-c6ea259b9398
  • Elies, C. (2022). Prendre-soin grâce à la médiation animale : le cheval porteur d’espoir. Recherches & éducations [En ligne], disponible à l’adresse suivante: http://journals.openedition.org/rechercheseducations/12875; DOI : https://doi.org/10.4000/rechercheseducations.12875
  • Fournier Chouinard, E. (2021). Modèle humanimal de pratique en médiation animale – zoothérapie. Où mettre nos pas dans l’empreinte de leurs pattes ouvre sur de nouveaux possibles. Sociographe, Hors-série 14(4), 87-118. https://doi.org/10.3917/graph1.hs014.0087
  • Rojo, S. ; Bergeron, G. (2021). Les médiations dans l’intervention psychosociale par la nature et l’aventure. Sociographe, Hors-série 14(4), 39-60. https://doi.org/10.3917/graph1.hs014.0039.
  • Roussillon R. (1988). « Le médium malléable », Revue belge de psychanalyse, 13 : 71-87

Crédits : photographies Pexels de Vladimir Srajber, Meruyert Gonullu et Anastasia Shuraeva


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Mylène Jacquet-Galiacy et Claire Parsy (30 juin 2025). L’équithérapie à l’école : une approche innovante pour soutenir les élèves en difficulté d’apprentissage. L'ŒIL DU LINQS. Consulté le 15 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/148fp


Mylène Jacquet-Galiacy et Claire Parsy

Mylène Jacquet-Galiacy est chercheure associée au Laboratoire CERES, Institut catholique de Toulouse : m.jacquet-galiacy@ifrass.fr | Claire Parsy, Psychologue de l’Education Nationale spécialité « Education, Développement et conseil en Orientation scolaire et professionnelle » Loire : Claire.Meunier2@ac-lyon.fr

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