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L’accueil d’urgence : Les Ukrainiens et les autres

Le déclenchement de la guerre en Ukraine, le 24 février 2022 suite à l’invasion russe, a conduit le Conseil européen, après avis de la Commission, à mettre en œuvre le mécanisme défini par la directive 2001/55, adoptée en 2001. Celle-ci fixe “des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et […] des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil.”

Une mobilisation inédite

La France a ainsi mis en place, en urgence, un dispositif d’accueil qui s’appuie sur une organisation définie au niveau national et déclinée dans chaque département. Chacun, en urgence, a mis en œuvre un dispositif s’appuyant sur les acteurs ad hoc ayant une expertise plus ou moins fine de leur territoire et des moyens de répondre à ces accueils d’urgence. En Haute-Garonne, les collectivités territoriales, la DDETS et les acteurs associatifs de l’action sociale ont rapidement mis en œuvre un dispositif d’accueil inédit. Inédit en raison notamment de la coordination de ces acteurs autour d’une mission singulière : l’accueil d’un public spécifique, bénéficiant d’un statut spécifique.

Les projections, annonçant l’arrivée de 10 000 Ukrainiens dans notre département, ont rapidement été démenties par des flux moindres, mais sur une temporalité allongée (environ 5000 personnes en cumul depuis mars 2022 en Haute-Garonne). Les publics dits déplacés d’Ukraine sont arrivés par vagues successives en lien avec les soubresauts du conflit. Parmi les acteurs en première ligne, la Mairie de Toulouse et sa Métropole ont su rapidement mobiliser les moyens nécessaires. Cette collectivité s’est notamment appuyée sur l’expérience et l’opérationnalité du SIAO-Veille Sociale de Haute-Garonne. Comme le Département de Haute-Garonne, le CCAS de la ville de Toulouse est historiquement engagé dans l’action sociale et dispose de structures qui ont favorisé une réponse rapide et adaptée. L’engagement des acteurs publics et, disons le, l’histoire déjà ancienne qui accompagne cet engagement, souvent porté par un militantisme singulier et bien ancré, a conduit également à créer de toutes pièces un dispositif spécifique.

L’enjeu était clair : ne pas mettre en concurrence les publics au sein d’un territoire déjà fortement sous tension en matière d’accueil, d’hébergement et d’insertion. Les Ukrainiens bénéficiant en France d’un statut juridique que d’aucuns qualifieraient de privilégié, par rapport aux autres publics (dont les demandeurs d’asile), il ne pouvait être question de privilégier les uns au détriment des autres.

Cependant, aussi efficiente que fut la mise en place du dispositif spécifique Ukraine, fallait-il pour autant tenter de réinventer la roue, au risque d’ajouter à une situation administrative atypique des conditions d’accueil dérogeant aux droits des personnes accompagnées ? Parce que finalement, cette directive 2001/55 définit, certes, un protocole exceptionnel, mais ne change pas la nature d’un public déplacé d’une terre ravagée par la guerre. Mais cette directive a immédiatement scindé le dispositif national d’accueil et les conditions d’accueil des étrangers en deux catégories distinctes et immiscibles. Ainsi, les lieux d’accueil n’ont pas été qualifiés de centre d’hébergement d’urgence, (ou Hébergement d’Urgence pour Demandeur d’Asile (HUDA)), mais de centres ad hoc ne disposant pas des mêmes prérogatives. De même, l’enregistrement des demandes et du profil des publics afin de structurer un accueil et un parcours cohérent, n’a pas été privilégié. Les outils dont disposent les Services Intégrés d’Accueil et d’Orientation (SIAO) dont le Système Informatique du Service d’Information d’Accueil et d’Orientation (SI-SIAO) n’a pas été ouvert à ce public spécifique et cela est apparu problématique.

La gestion du dispositif apparaît parfois hors cadre légal et que dire de l’application de la loi 2002-02 pour ce public ? L’exception statutaire justifie-t-elle le hors-cadre légal ? Sans insister plus longuement sur ces choix qui, sans doute, ont pu traduire un embarras vis-à-vis des Ukrainiens bénéficiant d’une autorisation de séjour exceptionnelle, ils n’ont pas été faits en faveur du droit des usagers d’un dispositif qui, même exceptionnel, se devait donc de demeurer de droit commun.

Pourtant, nécessité faisant loi, la réduction progressive des budgets dévolus a nécessité des ajustements au fil de l’eau. Suite à plusieurs sollicitations, notamment du SIAO 31 à la DIHAL, le logiciel SI-SIAO a finalement été ouvert à l’enregistrement des déplacés d’Ukraine en 2023. Cela a permis un recensement et un enregistrement de leurs demandes, notamment pour l’accès à un logement ou à un dispositif spécifique. Cela a également favorisé, de manière symbolique, une normalisation de leur parcours au sein des dispositifs de l’aide sociale à l’Etat.

Solidarité bien ordonnée…

Plus encore, l’arrivée de ce public en 2022 a donné lieu à un mouvement de solidarité massif, notamment de la part de particuliers prêts à mettre à disposition une chambre, un logement indépendant, voire une maison jusque-là inoccupée. Autant de solutions d’hébergement jamais repérées, sollicitées, exploitées qui ont surgi en quelques mois et pour près de 1000 Ukrainiens. Relais médiatiques, effet miroir, systèmes de représentations, ont joué en faveur de ce seul public.

Ici aussi, les collectivités territoriales, la ville de Toulouse, jumelée à Kiev, le Conseil Départemental et au-delà, prises dans le tourbillon de cette guerre aux limites orientales de l’Europe, ont relayé avec intensité et émotion la nécessité d’ouvrir nos maisons, nos cœurs solidaires, à ce peuple contraint au déplacement jusque dans nos foyers.

Des centaines de familles dites citoyennes ont répondu présentes et ont laissé entrevoir autant de lieux d’accueil, jusque-là invisibles et inenvisageables. Près de 1000 Ukrainiens ont rejoint nos foyers et cela dans tous les recoins du département.

S’est manifesté un engouement pour ce public spécifique, au risque d’exprimer et de définir des critères quasi taxonomiques. Cela a pu s’accompagner de désidératas parfois choquants, conduisant à exclure certaines familles qui exigeaient tel ou tel profil, telle ou telle composition familiale, sur des critères physiques, morphologiques et d’âge.

Si de telles demandes sont demeurées très marginales, elles devaient plus globalement mettre en lumière le stéréotype fantasmé de la figure de l’Ukrainien(ne), cet autre soi-même auquel on souhaite ce que l’on désire pour soi, au risque parfois d’en faire trop et d’aller trop loin.

Il apparaît toujours complexe d’apprécier les mouvements suscités dans la psyché collective par cette situation singulière. Humeurs, rumeurs, fantasmes, représentations, solidarités, charités, bien-pensance, engagement citoyen, politique et idéologies forment un maelström qui ne dit pas une intention claire, une volonté univoque mais qui a produit l’effet escompté : un toit sur la tête en urgence.

Applaudir le corps médical à nos fenêtres et sur nos balcons, ainsi que toutes les autres formes qu’a pu prendre cette solidarité pendant la crise du COVID, en une communion durant les confinements, n’est pas sans réaffirmer ce besoin d’unité, de faire cause commune, de s’unir face à une crise, une situation qui surgit sans crier gare et nous impacte tous.

Toutefois, là où la crise du COVID a figé le monde dans une alerte inédite, l’agression sauvage de l’Ukraine par la Russie n’a pas fait surgir la guerre dans nos consciences collectives : Syrie, Libye, Afghanistan, constituaient déjà des rappels incessants de la sauvagerie des guerres… jetant sur les routes et à nos frontières des populations tout aussi vulnérables et appelant à notre protection, si ce n’est à notre solidarité.

Alors qu’il semble prématuré de tirer un bilan étayé et argumenté de ce mouvement massif autour de la « cause ukrainienne », un écho lointain pourrait être évoqué.

Dans l’Antiquité, le monde grec constitué de cités-États, unies par une culture, des rituels, des pratiques, une religion commune, distinguait trois types de statuts (cela, sans entrer dans l’analyse des classes censitaires, des statuts dévolus aux femmes, enfants et esclaves) : les citoyens, par exemple athéniens ; les métèques citoyens d’autres cités qu’Athènes ; et les autres : les barbares extérieurs au monde grec.

Directive 2001/55 ou pas, il y aurait, dans le cas qui nous occupe ici, quelque chose de métèque chez les Ukrainiens. Ni membres de l’Union Européenne et de son ancrage occidental, ni totalement barbares comme pourraient, de fait, paraître l’être toute autre nationalité présente sur le territoire, à nos systèmes de représentations, à nos affiliations culturelles, aux limites floues de celui qui est d’ici.

Il y aurait donc aussi, quelque chose de l’ordre de l’entre-soi, quelque chose qui creuse un fossé et définit un delta que nous constatons aujourd’hui, non sans un certain malaise.

Si, ce malaise ne peut être imputable à ce public pris dans la tourmente d’un conflit et qui ne demande que protection et sécurité, il pourrait mettre à mal, notamment, les professionnels de l’action sociale qui s’engagent aux côtés de l’autre sans discrimination ou jugement, mais qui, dans le cas présent, ne disposent pas des mêmes leviers pour accomplir leur mission et garantir un principe d’égalité et de dignité, qui est en soi ce que l’on doit à l’humain du fait qu’il est humain.

 … en trompe l’œil.

 Bien entendu, cette directive, déjà ancienne et jusque-là jamais mise en œuvre, ne pouvait anticiper les bouleversements qu’ont connus nos dispositifs d’accueil nationaux, les flux de populations qui depuis 20 ans sollicitent refuge et asile, ainsi que le déclenchement de ce conflit anachronique sur notre continent. Bénéficier d’un statut de déplacé d’Ukraine apparaît aujourd’hui, au regard des conditions d’accueil sur notre territoire, comme d’abord dérogatoire, ensuite exceptionnel. Deux qualificatifs qui ne s’accommodent guère avec les principes d’égalité, de fraternité… gravés sur tous les frontispices de nos établissements publics.

Nous ne ferons pas preuve d’une naïveté excessive alors que nous apprécions aujourd’hui comme hier que la gestion des politiques migratoires est complexe, morale, souvent conjoncturelle, donc abusive. L’accueil des Ukrainiens, les drapeaux bleu et jaune qui habillent les façades des mairies, ne saurait nous faire perdre de vue cet engouement conjoncturel, celui d’une société du spectacle qui braque un projecteur ici et laisse dans l’ombre là-bas.

Pourtant, être aujourd’hui déplacé d’un pays, rarement par choix, mais plutôt par contrainte, ne saurait mettre aucune situation en concurrence et ne devrait impliquer aucune hiérarchie. Bien entendu, tous ces autres bénéficient de dispositifs d’accueil pensés, structurés et efficients, mais en nombre trop restreint pour garantir un toit inconditionnel. Les Ukrainiens bénéficient dans tous les cas d’un toit, solide et garanti jusqu’à fin 2025 par la directive mentionnée et qui engage l’Etat français vis-à-vis de l’UE.

Ces « aimables métèques », si proches de nous, ont emporté nos bons sentiments à la faveur d’un accueil familial au sein de nos foyers. Ils bénéficient d’un dispositif dédié conçu comme une bulle étanche, mais pas opaque. Elle ne laisse que trop bien voir les orientations hôtelières immédiates et inconditionnelles, les orientations prioritaires sur des centres d’hébergement dédiés et par de nombreux aspects plus confortables et sécurisés que ceux de l’AHI (Accueil, Hébergement, Insertion) généraliste.

Au « non » formulé 9 fois sur 10 par le 115 de Haute-Garonne, aux milliers de personnes qui sollicitent un toit en urgence, répond le « oui » inconditionnel et immédiat adressé aux publics ukrainiens qui appellent un numéro dédié. Du moins, ce « oui ! » est devenu au fil des mois, et ce dès fin 2023, beaucoup moins inconditionnel à la faveur d’une actualité qui a tourné ses projecteurs vers d’autres horizons.

Les moyens octroyés à ce dispositif dédié se réduisant, les publics ukrainiens ont, dans le même temps, été contraints d’accepter, au risque d’une fin de prise en charge, des orientations vers des départements tiers. Celles-ci, qualifiées de « desserrements », impliquaient de partager, au niveau de la région Occitanie, la charge de l’accueil des primo-arrivants. L’Aude, le Tarn, le Tarn-et-Garonne et les Hautes-Pyrénées ont été les départements de destination des publics qui ne pouvaient plus bénéficier d’un hébergement adapté en Haute-Garonne.

Ainsi furent organisés des transferts, en bus collectifs et en train, pour des « desserrements perlés ». Si le terme de « desserrement » a pu susciter de vives réactions, il induisait, cependant, une continuité de prise en charge et une réponse pragmatique à une absence d’hébergement ou de logement adapté en Haute-Garonne. Il garantissait, finalement, qu’aucun ménage ne finisse à la rue.

Aussi, cette stratégie fut globalement payante et a favorisé dans ces départements ruraux un accès facilité aux parcs de logements sociaux et une insertion professionnelle plus rapide. Cette fongibilité des places interdépartementales, pensée et opérante, fut une expérience relativement inédite pour les travailleurs sociaux peu habitués à de telles stratégies.

Elle a pu conduire, à la marge, à retenir certains publics dits vulnérables sur les centres d’hébergement de Haute-Garonne au risque de ne pas anticiper la fermeture programmée de ceux-ci. En cela, penser le dispositif dans sa dimension macro et dans une temporalité « conjoncturelle » aurait permis de garantir à ces publics vulnérables (âgés pour la plupart) une solution d’hébergement stable, même loin de Toulouse.

Accueillir temporairement

Il serait scandaleux d’offrir aux médias l’image d’une famille ukrainienne sous une tente place de la préfecture. Population hors sol, au sens propre et figuré, les Ukrainiens bénéficient d’une autorisation provisoire de séjour de 6 mois, avec l’octroi d’une protection temporaire. Cette dernière mention, juridiquement floue, s’associe à une autorisation de travail immédiate.

Ce droit au territoire dérogatoire, et pour l’heure reconduit sine die, implique en l’état que les bénéficiaires devront au terme de cette protection retourner en Ukraine. Puisque dans les faits, les Ukrainiens ne sont pas appelés à rester, à s’insérer et à s’installer durablement en France.

Pourtant, rien n’est clair et les travailleurs sociaux présents aux côtés de ces publics semblent exprimer un certain inconfort. Tapis rouge pour les Ukrainiens, mais tapis qui court jusqu’en 2025… ou 2026 ?

Si les Ukrainiens sont aujourd’hui titulaires d’un droit au séjour exceptionnel, il ne peut être question de leur faire injonction ou de les accompagner vers l’emploi. Du moins, ce principe initial déterminait cette « mise en protection temporaire » le temps de…

Le flux des premières arrivées semble avoir prioritairement concerné les Ukrainiens en capacité de se projeter en France. Si nous n’avons pas pu déterminer un socio-type, force est d’apprécier que nombre de primo-arrivants ont rapidement fait le choix de poser leurs valises, de travailler et de trouver un logement.

Si aujourd’hui les Ukrainiens sont appelés avec fermeté à être autonomes sur le territoire, sans peser davantage sur les dispositifs de l’aide sociale, ce ne fut pas le cas pendant près de deux ans, et leur droit à solliciter un titre de séjour et à formuler une demande d’asile est demeuré flou les deux premières années.

Aujourd’hui si la directive européenne s’applique toujours, les publics toujours présents sont ceux qui ont fait le choix de rester. Demeurent cependant 100 à 200 Ukrainiens et Ukrainiennes, dans l’attente d’un possible retour vers un pays pacifié.

Pour celles et ceux qui sont dans cette attente et qui légitimement n’expriment aucun souhait de s’insérer en France, quel accompagnement social et éducatif ? Quel projet pour quel parcours au sein de ce dispositif spécifique pour les Ukrainiens ? Faut-il envisager la gestion de l’attente comme projet à moyen terme ?

S’il s’agit de faire le pari d’une paix prochaine en Ukraine et d’un retour massif et consenti des déplacés vers leur terre natale, alors réjouissons-nous. S’il s’agit du bricolage hâtif d’un statut, le temps de voir la suite, ainsi inquiétons-nous.

Car, comme tout autre public, certains ressortissants ukrainiens expriment le souhait de poser définitivement leurs valises en France. Certains, ayant tout perdu en Ukraine, n’envisagent aucun autre horizon que leur nouvelle terre d’accueil. Certains, comme toute personne contrainte de quitter son pays, ont besoin d’y voir clair, de se projeter…

Encore une fois, leur statut juridique est en l’état celui d’une protection temporaire. Les demandes d’asile déposées par certains d’entre eux sont à apprécier avec réserve et les statuts accordés à la Cour Nationale du Droit d’Asile sont à observer à la loupe.

Un exemple à suivre…

Aussi inédite soit-elle, la place des Ukrainiens dans l’architecture globale des dispositifs d’accueil est instructive et nous permet d’affirmer que proposer un toit et une possibilité de travail constituent des bases solides au processus d’insertion en France.

Si un tiers des publics accueillis en Haute-Garonne était en situation de handicap sensoriel (sourd), nous constatons que même ce public spécifique est parvenu, non sans difficulté, à décrocher un emploi, notamment dans les secteurs dits « en tension ». Main d’œuvre disponible et motivée, elle ne rechigne pas à occuper un emploi parfois sous-qualifié et loin des fonctions occupées au pays.

Si l’allocation pour demandeur d’asile est versée aux Ukrainiens à titre dérogatoire, s’ils bénéficient des prestations sociales versées par les CAF, nombre d’entre eux ne s’en contentent pas, mais manifestent leur volonté de s’insérer, d’obtenir un logement et de vivre une vie comme tout un chacun.

Cela apparaît de fait comme une opportunité, voire un privilège qui n’est pas accordé aux autres publics titulaires à minima d’une Autorisation Provisoire de Séjour (APS) et bien entendu en situation irrégulière.

Constat évident : oui, le droit au travail peut constituer un sésame, mais sur des modalités qui ne semblent pas pour le moment correspondre, en l’état, aux divers projets de loi sur l’immigration. Un sésame qui ne règlera pas tout, loin de là, mais qui laisse une chance de trouver sa place. Qui laisse une chance à celui qui n’est pas d’ici, d’apparaître moins étranger, de susciter moins de suspicion en s’insérant par l’emploi, en estompant son étrangeté par une forme de banalité.

Les acteurs de l’action sociale militent depuis des années afin de réintroduire le droit au travail pour les demandeurs d’asile. S’il ne s’agit nullement de renverser la table à l’aune du statut accordé aux Ukrainiens pour en faire la norme, et malgré les efforts produits depuis dix ans au sein du Dispositif National d’Accueil (DNA) en matière d’accueil, le dispositif d’accueil des Ukrainiens nous instruit et dessine d’ores-et-déjà de possibles pistes.

…mais un bricolage hâtif

Nous ne négligerons pas les ombres au tableau au risque d’occulter les difficultés qui ont surgi rapidement dans ce dispositif spécifique. Car, la trajectoire idéale de l’Ukrainien dans ce dispositif idéalement huilé a rapidement connu ses premiers couacs. L’articulation « accueil, orientation, évaluation », dans un centre d’hébergement spécifique vers un logement tout aussi spécifique, grince.

Le manque chronique de logements sociaux voire « très sociaux » en Haute-Garonne s’est rappelé au projet global et idéalement fluide d’une trajectoire vers et dans le logement. S’il était exclu que les Ukrainiens puissent émarger sur les mêmes listes que les demandeurs classiques auprès des bailleurs sociaux, ce sont ces derniers qui se sont montrés très réticents à s’inscrire dans le projet d’accueil.

Les Ukrainiens ont été rapidement orientés vers des logements dits d’Inter-Médiation Locative (IML). Il s’agit, dans le seul cas de ce public, d’anciens logements sociaux dévolus à la destruction, mais préservés temporairement afin de favoriser son accueil. Trouver de la place où l’on peut et en urgence n’a mobilisé qu’un seul bailleur social en Haute-Garonne. Les plus gros opérateurs de la région demeurant à distance et manifestant une suspicion éloquente, du moins une réserve.

Cela a conduit fatalement à un engorgement en aval et à un blocage des parcours. En 2022, plus de 700 Ukrainiens attendaient, notamment en familles citoyennes, en centres d’hébergement, un logement. Un bouchon persistant est vite apparu et a laissé supposer que les centres d’hébergement temporaires étaient appelés à devenir des lieux de vie de longue durée. Cela laissait également supposer que les familles citoyennes encore mobilisées étaient déterminées à prolonger sine die leur cohabitation.

Un autre problème est venu se rajouter, alors que l’information délivrée dès le départ à toutes ces populations (familles françaises incluses) était peu précise, et disons-le, au doigt mouillé. Nous l’avons signalé plus haut : cet accueil n’a pas été l’occasion de faire des Ukrainiens des usagers instruits de leurs droits et devoirs.

Alors qu’un réel flou continue de flotter au-dessus des centres d’hébergement des foyers français qui poursuivent leur accueil citoyen, diverses problématiques inquiétantes, et pourtant très banales, surgissent. Troubles psychologiques, affections somatiques, pathologies de santé variées, violences intraconjugales, liens parents/enfants mis à mal, chocs post-traumatiques…, les publics ukrainiens ne font pas exception et ce, comme toute personne en rupture, désaffiliée, appelée par leur terre natale.

En 2025, demeurent dans les divers lieux d’hébergement dédiés ceux et celles qui ont fait le choix d’une attente au retour. Nous y identifions également les publics qui ne sont pas en mesure de trouver un emploi et de s’inscrire dans un parcours vers et dans le logement, alors que les financements dédiés à ce dispositif se tarissent, que la fermeture des derniers centres ad hoc est annoncée.

Le recours au droit commun dans un contexte d’extrême saturation des dispositifs d’accueil généralistes jette un trouble sur l’avenir de ces derniers publics.

Depuis maintenant deux ans, et ce au fur et à mesure, les acteurs impliqués se sont retirés. Les institutions publiques et les associations ont fait le choix de restreindre, voire de suspendre les dispositifs qu’ils avaient déployés.

Actuellement, nous avons à disposition un centre d’hébergement dédié, complété de places hôtelières, quelques rares ménages toujours présents en tant que familles citoyennes, ainsi qu’une vingtaine de logements IML intercalaires qui circonscrivent l’offre. L’ensemble des dispositifs financé par l’Etat devra fermer ses portes en décembre 2025.

Un dispositif qui fait symptôme

Ainsi, rapidement après sa mise en œuvre, le dispositif d’accueil dit des « déplacés d’Ukraine » en Haute-Garonne a connu des problématiques similaires aux dispositifs dits généralistes. Cela se traduit par le manque chronique de places adaptées et le déploiement de dispositifs spécifiques afin d’accompagner les situations complexes.

La Métropole toulousaine est attractive et jouit d’une bonne réputation auprès des publics ukrainiens. Les réseaux sociaux (Télégramme, Whatsapp…) constituent une source importante d’informations auprès de la communauté. Néanmoins, ils véhiculent de nombreuses contre-vérités et peuvent parfois jouer contre leurs utilisateurs.

Les déplacés d’Ukraine sont très mobiles sur le territoire national et suivent les flux d’information vers Toulouse et les grandes métropoles en général. Cela induit de manière mécanique un afflux de populations qu’un dispositif sous-dimensionné ne peut absorber. D’autant que ce public est conscient de bénéficier de prérogatives avantageuses et dérogatoires.

Ainsi, pouvait-il formuler deux refus alors que lui était proposé une solution d’hébergement conforme aux moyens du dispositif. Souvent, l’orientation, lorsque cela était possible, vers un appartement IML ou d’un centre d’hébergement, pouvait s’accompagner d’un refus (trop loin de l’école des enfants, trop loin du centre ville, trop loin du lieu de travail, moins bien que l’hôtel ou le logement mis à disposition par une famille d’accueil…).

Ces refus étaient d’autant plus fermes qu’une certitude l’appuyait : celle qu’une alternative interviendra. Certitude fausse ou partiellement fausse car ce public percevait mal les moyens exceptionnels mis à sa disposition comme les limites de ceux-ci.

Cela a conduit à des situations où les désidératas paraissaient disproportionnés et déconnectés des possibilités offertes aux autres publics. Constat spectaculaire pour les acteurs hors de la bulle « Ukraine » et qui s’est accompagné d’une grogne qu’il est difficile de contredire. Pourtant, notre engagement éthique notre mission centrée sur un cadre légal nous engage auprès de ce public. Il nous engage à faire preuve de pédagogie, l’art de la répétition constitue un exercice nécessaire afin de définir une limite, de déconstruire des représentations fantasmée sur la France. Marges floues et limites déclaratives mais non tracées constituent autant d’approximations préjudiciables aux droits des personnes comme aux professionnels.

Un autre accueil est possible

Aussi inédites que nous paraissent les conditions d’accueil des Ukrainiens sur notre territoire, aussi exceptionnels semblent être les droits dont ils jouissent par rapport aux autres publics dits étrangers, n’oublions pas que ce statut juridique défini par la directive 2001 circonscrit, sur le plan juridique, ce public dans des limites claires.

Aussi, le dispositif mis en œuvre en France notamment, pourrait apparaître ambigu quant au message qu’il adresse aux Ukrainiens qui souhaitent poser leurs valises. Pourtant, non, leur APS avec mention, bénéficiant d’une protection temporaire, n’est pas une invitation au territoire.

Pour un principe d’équité, de justice, d’éthique ? Le statut des Ukrainiens n’est que spectaculaire et conjoncturel. En effet, il aura fallu un emploi et des preuves concrètes d’insertion pour acter leur possibilité de demeurer en France. Cela aura été, dans tous les cas, sanctionné par l’obtention d’un titre de séjour, ou d’une protection temporaire au terme d’une demande d’asile.

Finalement, il aura fallu qu’ils rentrent autant que faire se peut dans un cadre réglementaire d’admission sur le territoire. Si leur statut initial a fait polémique, ce fut à mots couverts et sans grand bruit, puisqu’il y aurait un tabou à dénoncer l’asymétrie spectaculaire des statuts des conditions d’accueil.

Disons-le, l’euphorie nationale déclenchée par les premiers accueils a fait long feu. Le 15 août 2023, plus aucun accueil de primo-arrivant n’a été accepté en Haute-Garonne. Cette date a été suivie du désengagement de nombreux acteurs impliqués dès les débuts du conflit. Aussi, nombre d’observateurs ont pu s’émouvoir de la rapidité avec laquelle le tapis rouge aussitôt déroulé a été replié.

Populations violentées par la barbarie des guerres, jetées sur les chemins d’Europe en quête de sécurité voilà un dénominateur commun qui n’appelle aucune hiérarchie des souffrances. Dans tous les cas, les Ukrainiens laisseront derrière eux le souvenir qu’un autre accueil est possible, que l’on peut faire autrement, suscitant ainsi, une nouvelle dynamique en matière d’accueil.

Ils ont, cependant et plus certainement, fermé après eux, cette parenthèse, emportée par le flux incessant d’informations, de spectacles et l’indifférence induites par la surenchère de l’évènementiel.  


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Pierre Lacassagne (19 juin 2025). L’accueil d’urgence : Les Ukrainiens et les autres. L'ŒIL DU LINQS. Consulté le 15 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/145s8


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