Étude d’impact de l’Atelier 2tonnes à Toulouse Métropole
Cet article présente les principaux résultats d’une étude menée dans le cadre du LINQS à propos du seriousgame 2tonnes sur le territoire toulousain. Les différentes analyses donnent à voir une réappropriation par les participants du contenu élaboré par les concepteurs du jeu, soutenant l’hypothèse que 2tonnes peut constituer un espace de débats propice à l’émergence de questionnements, y compris politiques. Également, cette étude soulève les effets possibles de l’environnement du jeu sur les positionnements des participants quant aux enjeux de l’empreinte carbone, entre changements individuels et collectifs. Finalement, ce travail de recherche révèle des tensions idéologiques entre croissance et décroissance, mais aussi entre sobriété et précarité.
Qu’est ce que le Serious Game 2Tonnes ?
L’atelier 2tonnes est un serious game qui vise à comprendre la notion d’empreinte carbone et les manières de la réduire pour atteindre l’objectif des 2 tonnes équivalent CO2 par an et par personne d’ici à 2050, afin de respecter les engagements de l’Accord de Paris.
Durant l’atelier, une douzaine de participants sont projetés jusqu’en 2050 avec l’objectif de réduire leurs empreintes carbones respectives ainsi que celle de la France. Ils doivent construire un scénario de transition bas carbone en choisissant des actions individuelles et collectives à l’échelle du pays et ainsi limiter le réchauffement climatique à +1,5°C. Suite à chaque choix, les émissions individuelles et nationales sont mises à jour en temps réel. Ainsi, les participants peuvent directement visualiser l’impact des actions choisies.
L’objectif de cet atelier est de sensibiliser les participants aux enjeux de la transition écologique et de faciliter le passage à l’action. Ces derniers reçoivent des résultats personnalisés et repartent avec des éléments de réflexion et des pistes d’action concrètes. L’atelier permet également d’avoir une vue d’ensemble de la transition, des actions prioritaires à mettre en place et des acteurs et secteurs impactés.
Comment se déroule un atelier ?
En amont de l’atelier, les participants sont invités à réaliser leur bilan carbone individuel via un formulaire créé par 2tonnes. Les 3 heures d’atelier sont divisées en différentes parties. L’introduction aborde les causes et les conséquences du changement climatique ainsi que la comptabilité carbone.
Ensuite, la simulation démarre : les participants ont 8 tours de jeu pour simuler l’évolution des émissions jusque 2050. Durant ces 8 tours, ils doivent choisir des actions, parmi 55 cartes individuelles et collectives, pour diminuer leur empreinte carbone. Après sélection, leurs choix sont enregistrés sur la plateforme de jeu qui affiche en temps réel l’impact de leurs choix, pour chaque tour, sur leur empreinte carbone.
Durant la partie, les joueurs alternent entre des tours individuels, pour baisser leur empreinte personnelle, et des tours collectifs, durant lesquels ils doivent incarner des décideurs et prendre des mesures à l’échelle de la France. Un debrief est proposé à l’issue de chaque tour pour analyser les évolutions des empreintes carbone et relever les enseignements clés. Une fois le groupe arrivé en 2050, l’animateur propose un tour de table avant de présenter une conclusion finale.
Sensibiliser par des ateliers
Saisi sur la question de la transition carbone, le Codev déploie 2tonnes depuis plus de deux ans. Afin de sensibiliser, de former et de mobiliser un large public sur ces enjeux, le Codev a développé une version locale, intitulée « 2tonnes édition Toulouse ». Sa création a associé plusieurs directions de la collectivité ainsi que des institutions partenaires, comme Météo-France.Le déploiement organisé par le Codev a permis de sensibiliser plus de 1 000 citoyens d’horizons variés (membres du monde académique, d’associations, des Codev(s), etc.), mais également plus de 100 élus métropolitains et communaux, et 400 agents des services de la ville et de la métropole de Toulouse.
Le Conseil de développement (Codev), en rassemblant de nombreux acteurs de la métropole toulousaine et en s’organisant comme une interface entre Toulouse Métropole et la société civile locale, constitue un lieu d’expertise citoyenne et de débat sur les enjeux métropolitains. En véritable assemblée participative, le Codev mobilise les populations à propos des enjeux sociaux qui les concernent avec ce souci de permettre aux habitants d’être les acteurs voire les auteurs des décisions prises et des actions mises en œuvre sur leur territoire.
Une recherche participative
Le LINQS (Laboratoire des Idées sur les Nouvelles Questions Sociales du Labex Structurations des Mondes Sociaux), incubateur de recherches collaboratives entre chercheurs et citoyens, a été sollicité par Toulouse Métropole pour la réalisation d’une étude d’impact sur les ateliers 2tonnes. C’est le laboratoire EFTS qui développe des démarches de recherche participatives et collaboratives qui a été mobilisé pour mener cette étude durant l’été 2022 par notre intermédiaire.Dès le début de la recherche, le Codev (lien internet) a participé activement à l’élaboration de cette recherche, l’inscrivant ainsi dans une réelle co-recherche Science et Société. Cette participation se prolonge jusque dans la valorisation des résultats, en témoigne la présence d’une des animatrices de l’atelier parmi les co-auteures de cette publication.
La réappropriation des thématiques lors des échanges
L’analyse des mots utilisé dans les cartes 2tonnes a montré la prégnance d’un vocabulaire orienté vers l’économie et des enjeux pour les entreprises, donnant alors à voir que les acteurs économiques sont la cible essentielle des concepteurs du jeu pour accompagner les enjeux de la transition écologique et du développement durable.
En définitive, l’analyse des cartes 2tonnes met en lumière un positionnement pédagogique prompte à sensibiliser le plus grand nombre, laissant toutefois l’espace pour l’expression des plus convaincus lors des ateliers.
L’analyse des échanges enregistrés lors des ateliers se distingue des analyses lexicales des cartes. Il semblerait donc que nous soyons en présence d’uneréappropriation des thématiques et de leur réorganisationpar les participants.
Se prêter au jeu
Lors de chaque atelier, les participants se « prêtaient au jeu », se montrant enthousiastes quand leurs actions étaient efficaces, exprimant leur déception lorsque les efforts semblaient vains.
Il est également intéressant de noter que le fait de chronométrer chaque tour durant le jeu est venu rappeler l’imminence de la catastrophe écologique. Notons que la temporalité pourtant imposée par le jeu n’a été respectée dans aucun atelier et les participants se sont majoritairement sentis frustrés de ne pouvoir aller au bout de leurs réflexions pour passer à l’action.
L’ambiance durant les ateliers a été à la fois sérieuse et joviale, avec un appel à l’optimisme, « pour nos enfants ». Il s’agit donc bien d’un jeu pour prendre du plaisir, s’amuser comme et pour nos enfants, mais un jeu avant tout sérieux, à propos d’une thématique qui rassemble mais divise aussi. Les ambiances durant les ateliers ont toutefois été très diverses, en fonction de la typologie des participants. Ainsi, lors d’un atelier constitué pour majorité de jeunes de moins de 30 ans inscrits dans un dispositif d’insertion et accompagnés par une travailleuse sociale, un participant a exprimé des difficultés d’ordre économique qui expliqueraient l’impossible mise en œuvre de la transition écologique. Également, un participant de ce même atelier, présentant une empreinte carbone très faible, nous a expliqué qu’il n’était pas dans une démarche écologique mais qu’avec sa mère « ils vivaient avec pas grand-chose », discriminant ainsi pauvreté et sobriété. A l’image de cette génération anxieuse face à un avenir incertain, les discours de certains jeunes sont restés très pessimistes tout au long de l’atelier.
Au delà du jeu
Lors d’un autre atelier, une participante a affirmé que « ce sont les riches qui polluent le plus ». Cette remarque donne à voir une thématique que l’on ne retrouve pas dans les cartes 2tonnes : celle des inégalités sociales intrinsèquement liées à la question écologique. Finalement, pour citer un participant, les ateliers 2tonnes, au moment de l’analyse, « zappaient la question sociale », mais cela n’a pas empêché son émergence dans les échanges entre participants. Notons que ces observations ont eu lieu en 2022, et qu’une évolution du seriousgame a eu lieu entre temps, incluant cette question des enjeux sociaux.
Enfin, durant d’autres ateliers, nous avons constaté une cohabitation de « savoirs naïfs », relevant du sens commun, et de « savoirs experts », relevant de la sphère scientifique, cohabitation qui a donné lieu à de nombreux débats. Ce point souligne que les ateliers 2tonnes constituent bien un jeu qui donne des repères à ceux qui en ont besoin tout en ouvrant la voie au « débat démocratique ». Cette configuration semble rassurer les participants les moins informés tout en soutenant des débats passionnés car, pour citer un participant « expert », « le moindre changement nécessite un débat démocratique ». Cette remarque nous amène à poser que les ateliers 2tonnes ne sauraient faire fi des questions politiques.
C’est dans cette même dynamique qu’a été ajoutée, pour la version toulousaine des cartes de l’atelier 2tonnes, la partie intitulée « Coup de pouce des collectivités ». Comme nous l’a expliqué l’animatrice en charge de la coordination des ateliers 2tonnes au Codev, cet ajout s’inscrit dans une volonté de communication et d’appropriation des actions mises en place par la Métropole dans le cadre du Plan Climat. Il avait même été évoqué, au moment de la réalisation de ces ateliers, une participation des élus à un ou plusieurs ateliers 2tonnes afin de soutenir ces possibles transformations en appui des instances décisionnaires. Pari gagné puisque l’année 2023 a vu la sensibilisation d’une centaine d’élus métropolitains et d’élus de communes de la Métropole, organisés par le Codev.
Un biais inattendu
Nous conclurons la présentation de ces résultats en nous interrogeant à propos d’un effet inattendu de l’environnement dans lequel le jeu 2tonnes a été vécu. En effet, nous avons relevé une corrélation significative entre certaines classes de discours en lien avec la présence ou non de la climatisation dans la salle où se déroulait le jeu : lorsque la climatisation était activée, les participants semblaient davantage focaliser leur discours sur des changements individuels, majoritairement orientés vers les questions alimentaires.
Par ailleurs, les choix réalisés au moment du jeu par les participants semblent également en lien avec la symbolique des espaces car c’est lors de l’atelier réalisé dans un Fab’lab que les participants ont davantage mobilisé les actions de sensibilisation avec des résultats probants pour ce qui concerne la mise en œuvre d’un scénario de transition écologique à forte dynamique sociale.
Conclusion
L’analyse des discours durant les ateliers ainsi que les observations participantes ont permis de repérer deux tensions : croissance vs décroissance / sobriété vs précarité. Si la question sociale n’était pas traitée dans les cartes 2tonnes, elle a cependant fait l’objet de discussions durant les ateliers, ce qui constitue, en somme, une forme de réappropriation du jeu par les participants, au-delà du contenu des cartes. Depuis la réalisation de cette recherche, les concepteurs du jeu ont intégré cette question fondamentale des inégalités sociales en lien avec la transition écologique.
Cette étude a permis de repérer, à travers l’analyse des cartes 2tonnes, les positionnements idéologiques des concepteurs du jeu, autour d’une croissance dite « verte », ce qui apparaît congruent avec les premiers publics de ce seriousgame (le milieu de l’entreprise et des grandes écoles de l’enseignement supérieur) mais qui peut être questionné au regard des impératifs de sobriété relayés par la sphère scientifique (rapports du GIEC). Rappelons toutefois que les ateliers 2tonnes ont vocation à proposer une première sensibilisation, par le jeu et que l’objectif est atteint. Il n’y a donc pas dans nos résultats d’inadéquation entre les objectifs annoncés par 2tonnes. Ces éléments idéologiques pourraient toutefois être questionnés avec les concepteurs du jeu.
Pour aller plus loin : télécharger l’article détaillé de l’analyse du jeu 2Tonnes
Crédits – photographies : Freepik / Marie Cassagnes Breidenbach, Clara Giraudat, Sabrina Labbé
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Marie Cassagnes Breidenbach, Clara Giraudat et Sabrina Labbé (18 septembre 2024). Étude d’impact de l’Atelier 2tonnes à Toulouse Métropole. L'ŒIL DU LINQS. Consulté le 6 octobre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12bdl
