La guerre en Ukraine et ses impacts
L’objectif des séances du Laboratoire des Idées sur les Nouvelles Questions Sociales (LINQS) consacrées à la guerre en Ukraine n’est pas de fournir une analyse géopolitique, mais plutôt d’essayer de comprendre, au travers de diverses thématiques, les effets de la situation socio-économique locale et nationale. La séance du 22 avril 2024 a permis de suivre les évolutions en termes migratoires, économiques et politiques.
Notre premier intervenant a présenté quelques résultats issus d’une étude sur les attitudes et les perceptions des Russes vis-à-vis de l’invasion de l’Ukraine et du gouvernement russe. Cette étude a été faite aussi bien auprès de personnes restées en Russie qu’en situation d’émigration. Une des interrogations majeures de cette étude est de mieux comprendre les positionnements de la population face à la guerre, qui oscille entre une défense plus ou moins fervente et des formes de contestation plutôt discrètes.
Le simple fait de parler de la guerre, de la nommer, reste encore difficile. Jusqu’à peu, la guerre n’était pas déclarée comme telle en interne et quiconque déclarait le contraire encourait de la prison. De plus, le pouvoir de Poutine n’est pas contesté de manière nette, du fait de l’élimination de tout centre d’autonomie politique ou économique qui aurait pu contester le régime actuel.
Néanmoins, des éléments permettent de prouver que si la contestation n’est pas majoritaire, il n’existe pas non plus de soutien réel à la guerre. L’émigration massive est l’un des premiers indicateurs, avec près d’1 million de départs depuis les grandes villes. Ces exils concernent massivement les personnes issues des milieux académiques, de l’entreprenariat, etc. Ces absences commencent à se ressentir dans certains secteurs académiques, où le manque de ressources humaines est palpable. Cet exode est considéré comme la plus grande manifestation contre le régime, mais cette protestation reste malgré tout plutôt silencieuse. Un deuxième indicateur est celui de la réaction de la population face à la demande d’engagement dans l’armée. Les efforts systématiques pour une mobilisation générale ont échoué et ont entraîné une crise politique et sociale, en plus d’une énième vague d’émigration.
En concentrant les analyses sur les sondages, il est possible de trouver ces formes d’adhésion mitigées. Pour donner quelques exemples, le pourcentage de personnes favorables à la paix est supérieur à ceux qui souhaitent continuer la guerre. Lorsqu’on leur demande s’ils font confiance en Poutine, le soutien est écrasant, avec un retour favorable de la part de près de 70 ou 80 % des participants. Néanmoins, lorsque la question devient anonyme et ouverte, en demandant « en qui auriez-vous confiance pour prendre des décisions politiques ? », le soutien envers Poutine baisse drastiquement et atteint seulement 40% des répondants. Cela laisse à penser que si la question ne concerne pas directement la loyauté envers Poutine, alors le sentiment de solidarité baisse. Sans pour autant prouver une quelconque contestation envers le régime, ces chiffres permettent de mettre en valeur l’ambiguïté de la situation et la difficulté à réellement discerner le positionnement des russes.
Renata Hosnedlova, post-doctorante au LISST (Université Jean Jaurès), a fait le point sur la situation des réfugiés ukrainiens, en basant ses analyses sur des données tirées d’enquêtes européennes, le site web ‘UNHCR Refugees Operational Data Portal (ODP)’ et les différents rapports publiés par l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR). Elle propose de faire une comparaison entre les données actuelles et celles qui datent de l’année dernière.
Nous sommes passés de 8.072.198 de réfugiés ukrainiens en Europe (30 février 2023) à près de 5.930.400 aujourd’hui (selon les données du ODP de l’UNHCR à 19 avril 2024). En France, nous en accueillons actuellement 68.780 (29 février 2024), contre 118.994 ukrainiens avec un statut de protection temporaire au 31 novembre 2022. Ces différences de chiffres peuvent s’expliquer en partie par des retours en Ukraine. Selon les estimations de l’une des études, 64 % des personnes qui avaient quitté l’Ukraine juste après le déclenchement de la guerre sont rentrées en Ukraine pendant l’année 2022. La plupart des réfugiés sont rentrés pour retrouver leur famille et leur culture. Plus d’un quart sont rentrés dans un lieu différent de leur ancien domicile (UNHCR, 2024). Il existe également un flux constant de départs et de retours, selon les régions du pays touchées plus ou moins durement par la guerre, mais également selon les conditions plus ou moins strictes des pays d’accueil et selon les réseaux de soutien ukrainiens existants.
En effet, les flux migratoires continuent d’augmenter là où la diaspora était déjà importante avant la guerre (Italie, Espagne, Tchéquie, Allemagne). Au contraire, les flux et le nombre d’Ukrainiens en Pologne, qui était le principal pays d’accueil au début de la guerre, ont diminué de manière significative. Cela s’explique en partie par la saturation du système d’accueil en Pologne. La France est un autre pays où le nombre de réfugiés ukrainiens a considérablement diminué, à la suite des retours dans le pays d’origine et à la réémigration vers un pays tiers. Notamment, une migration massive a été observé vers le Royaume-Uni. Selon le dernier recensement effectué au Royaume-Uni juste avant la guerre (2021), il y avait environ 18 000 Ukrainiens. Cependant, le 8 avril de 2024, il y avait 237.060 ukrainiens enregistrés dans le cadre du régime familial ukrainien et du « Ukraine Sponsorship Scheme » (UNHCR, 2024 et selon les données officielles du gouvernement « Gov.uk »), ce qui signifie que la population ukrainienne dans ce pays a été multipliée par plus de 10. Par ailleurs, on observe une diversification des flux migratoires vers les pays qui étaient des destinations pour les Ukrainiens au cours de la première moitié du 20e siècle (par ex. Argentine, Canada, États-Unis, Chili). Lorsqu’il a été demandé aux réfugiés s’ils souhaitaient rentrer en Ukraine, et, lorsque c’était le cas, s’ils avaient une idée de la période à laquelle ils souhaitaient le faire, la majorité a répondu favorablement mais sans date déterminée. En effet, la réalité est que près de 40% des réfugiés provenant de certaines régions (par ex. Khersonska Oblast) n’ont plus de logement en Ukraine, à cause des destructions, et près de 30% ne savent pas ce qu’il en est (UNHCR). Le retour est donc difficile à envisager.
Un dernier chiffre représentatif de cette migration est le nombre de femmes : elles représentent près de 80% des réfugiés. Cela s’explique par le fait que les hommes entre 18 et 60 ans n’ont pas le droit de partir du pays (Maidanik, 2023), sauf circonstances particulières : avoir au minimum 3 enfants mineurs, avoir une forme de handicap, être père veuf ou un homme qui s’occupe en permanence d’un parent âgé (toutes les exceptions peuvent être trouvées sur le site visitUkraine).
Enfin Olivier Brossard, professeur de sciences économiques au LEREPS (Sciences Po Toulouse), propose une analyse sur les impacts économiques des sanctions mises en place contre la Russie (arrêt d’import/export) et sur l’inflation.
Tout d’abord, est mentionnée la déception vis-à-vis des sanctions1. En effet, comme il est possible de le lire dans un article du Monde, nous ne pouvons attendre des sanctions qu’elles retournent les Russes contre leur gouvernement, car les sanctions ne sauraient les priver de ce dont ils manquaient déjà très largement (accès aux études, à la culture, tourisme, droits et libertés). De plus, la situation économique interne n’est pas réellement impactée du fait de problèmes préexistants importants et d’une économie locale de subsistance qui est peu impactée par le gel des avoirs à l’étranger ou la chute du Rouble. Les conséquences ont été bien plus faibles que prévues, avec une perte de PIB de l’ordre de 2% par an seulement.
Un autre article souligne que les sanctions sont rendues inefficaces par la mise en place de nouvelles routes commerciales via la Chine et les pays du Caucase et de l’Asie Centrale. Pour que les sanctions économiques soient efficaces, il faudrait sanctionner les pays qui servent de relais, ce qui parait peu faisable dans le cas de la Chine. L’enjeu est donc d’aller au-delà des sanctions et de réfléchir à de nouveaux outils.
Ces deux développements permettent d’avancer une autre réflexion : celle du long terme et de l’ « économie de guerre ». Certaines études ont montré que la capacité à réorienter l’activité industrielle et les infrastructures économiques pour produire des armes est un facteur pouvant influencer fortement l’issue d’une guerre.2 Or l’économie ukrainienne est nettement plus affaiblie que l’économie russe par le conflit3; elle ne sera donc pas capable de gagner la guerre économique de l’armement sans une aide extérieure massive.
Pour finir, un retour a été fait sur les conséquences plus locales du conflit, notamment l’inflation. Le reflux de cette dernière se poursuit partout dans les économies développées. En France, elle est passée de 6,2% à son pic de février 2023, à moins de 3% aujourd’hui . En l’absence de nouveau choc, elle devrait revenir autour de la cible de 2% visée par la Banque Centrale Européenne. Les prévisions de croissance, nationale comme mondiale, annoncent désormais des pertes plutôt modérées, une sorte d’« atterrissage en douceur ». Cela permet de dire que nos économies sont finalement plutôt résilientes face à la situation. Néanmoins, cela ne pousse pas à l’action pour faire cesser le conflit.
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- Gaur, A., Settles, A., & Väätänen, J. (2023). Do Economic Sanctions Work? Evidence from the Russia-Ukraine Conflict. Journal of Management Studies, 60(6), 1391-1414 [↩]
- Harrison, M. (1998). The economics of World War II: an overview. The economics of World War II: Six great powers in international comparison, 1-42.Broadberry, S., & Harrison, M. (Eds.). (2005). The economics of world war I. Cambridge University Press. [↩]
- Rose, A., Chen, Z., & Wei, D. (2023). The economic impacts of Russia–Ukraine War export disruptions of grain commodities. Applied Economic Perspectives and Policy, 45(2), 645-665. [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Fanny Seffusatti (29 avril 2024). La guerre en Ukraine et ses impacts. L'ŒIL DU LINQS. Consulté le 6 octobre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12bdk
