La guerre en Ukraine : ses enjeux sociaux, économiques et politiques
Un groupe de réflexion se réunit régulièrement au Laboratoire des Idées sur les Nouvelles Questions Sociales (LINQS) pour discuter des enjeux de la guerre en Ukraine. Nous vous tiendrons régulièrement informé de leurs discussions sur ce blog.
Migration
On dispose de quelques chiffres assez fiables du Haut Commissariat aux Refugiés, deux enquêtes, l’une sur 34000 ukrainiens dans les pays frontaliers, la seconde sur 4800 réfugiés dans 36 pays, avec beaucoup de questions.
1/3 des personnes ont dû quitter leur foyer. 6 millions à l’intérieur du pays. 7,8 millions dans des pays européens dont 2 millions en Russie (migration involontaire). 4,7 millions sont inscrits pour bénéficier d’une protection temporaire en Europe. On a recensé 7,5 millions de passages frontaliers entre l’Europe et l’Ukraine. Beaucoup d’allers et retours (vérifier la maison, chercher des papiers, etc.). Le nombre de réfugiés augmente.
Principaux pays d’accueil : Pologne Allemagne, Tchéquie, Italie, Espagne, RU, France.
France : de 20 000 avant la guerre à 116 000 à présent. 99% ont la nationalité ukrainienne, 86% femmes. Les hommes n’ont pas droit de partir, sauf s’ils ont 3 enfants, ou sont handicapés. La part des diplômés universitaires est plus élevée dans les pays les plus éloignés. 17% des personnes parties ont commencé par être déplacées à l’intérieur du pays. Les Ukrainiens en France ont un profil un peu spécifique : venus par hasard, plus aisés, pas de liens préalables. Ils ne s’intègrent pas bien, veulent surtout revenir. Il y a des cas de racisme des Ukrainiens envers d’autres étrangers (dans les cours FLE) Certains ont rencontré des difficultés avec le travail à distance, pas toujours possible. Ils ont dpu revenir au pays pour garder leur travail. Les mineurs non accompagnés sont peu nombreux. Les enfants sans leurs parents sont confiés à des familles. On en a recensé toutefois 5000 en Italie.
La configuration la plus fréquente correspond à des femmes avec enfants mineurs avec des personnes âgées. Les emplois ses situent dans le commerce, la santé, l’éducation. 63% des exilés travaillaient avant la guerre, 28% (du total) ont retrouvé (ou trouvé) un emploi. 47% vivent de la protection sociale.
Il faut noter que l’Ukraine perdait déjà de la population avant la guerre (Crimée, problèmes de santé, pollution, migrations économiques).
Intentions de retour : 13% pensent revenir à titre permanent dans les 3 mois. 81% disent vouloir revenir dès que ce sera possible. Ceux qui viennent du Donbass sont souvent perdu leur maison. En général, les personnes veulent revenir pour retrouver la famille, retrouver un emploi . Les femmes avec enfants sont plus réticentes.
Économie
Un des événements du moment est l’effondrement des cryptomonnaies, qui étaient déjà fortement utilisées en Ukraine comme en Russie, et se sont mises à l’être plus encore au démarrage du conflit, pour contourner les difficultés de paiement et les sanctions. Ces pseudo-monnaies sont fondées sur une idéologie opposée à l’intervention socio-économique des Etats. Leurs promoteurs emploient souvent un argumentaire complotiste selon lequel les Etats et les banques centrales manipuleraient la valeur des monnaies pour spolier les épargnants et asservir les citoyens par la dette. L’hyper-cryptage est l’argument de vente sécuritaire de ces pseudo-monnaies, mais ce marketing témoigne d’une incompréhension totale de ce qui fonde la stabilité monétaire : la confiance monétaire est un fait social (Simmel), pas le fruit du codage informatique des transactions. En outre, la blockchain consomme une énorme puissance de calcul, et donc une quantité d’énergie et des émissions de GES qui croissent exponentiellement. La mythologie crypto-monétaire relève d’une méconnaissance de l’histoire des crises monétaires et financières, où les Etats et les banques centrales ont joué bien plus souvent les pompiers que les pyromanes.
Il ne faut pas oublier que les premiers défenseurs des monnaies privées ont été les grands théoriciens de l’ultra-libéralisme. Par exemple Friedriech Hayek dans son livre de 1976, « Denationalization of money », dont un des grands promoteurs en France fut Pascal Salin, ou encore Milton Friedman. Ces théoriciens ont tenté de démontrer la supériorité des expériences historiques de monnaies privées et de systèmes de paiement concurrentiels, qui n’avaient d’ailleurs rien à voir avec des monnaies locales citoyennes ou participatives. Mais ces expériences se sont souvent avérées désastreuses et n’ont jamais réussi à s’émanciper de la garantie des Etats et de la nécessité d’interventions de prêt en dernier ressort par la banque émettrice. La mythologie d’une société libre sans régulation étatique, de la monnaie ou du reste, pourrait bien avoir créé un mirage spéculatif de plus pour les investisseurs naïfs qui se sont précipités vers ce nouvel Eldorado des cryptos !
La crainte d’une inflation hors de contrôle semble pouvoir s’éloigner, mais il faut rester prudent. L’inflation actuelle a deux causes principales, l’augmentation des prix énergétiques et alimentaires, et les tensions mondiales sur les chaînes d’approvisionnement (politique 0 Covid de la Chine, explosion du coût du fret maritime, etc.). Dans certains pays, cela est aggravé par la pénurie de main d’œuvre, qui s’explique par le vieillissement de la population bien plus que par une « grande démission » restée finalement conjoncturelle et limitée (comme le montrent les données de la DARES). Là encore, la crise ukrainienne est venue aggraver des tensions déjà préexistantes. Les banques centrales montent leurs taux directeurs pour ralentir l’activité économique et tenter de juguler l’inflation. La Fed et plus encore la BCE le font assez prudemment. Cela aura tout de même des effets négatifs notoires sur la croissance mondiale et, concernant la France, on devrait passer de 2,6% en 2022 à 0-0,6% en 2023. Le bouclier tarifaire et la régulation des prix énergétiques ont amorti la mécanique inflationniste en France. Le prix du gaz commence à refluer, tout en restant très au-dessus de sa tendance de long terme. Cependant, le contexte économique inflationniste reste un problème important pour les budgets contraints des plus modestes, ce qui pourrait entraîner des tensions sociales.
La situation est préoccupante au Royaume Uni (10% d’inflation contre 6% en France), qui fait face de surcroît aux effets du Brexit et à une véritable crise de sa dette publique. Une partie de l’activité financière quitte Londres. Le pays avait une forte dépendance au pétrole et au gaz russe, et au charbon d’importation, et ce malgré les gisements de gaz britanniques de la Mer du Nord, qui sont d’ailleurs en train de s’épuiser.
En Russie on peut penser que les difficultés économiques vont s’accroître, créant des obstacles pour financer le renouvellement des armements. Cependant, si les sanctions fonctionnent, leur effet est amoindri par l’excédent courant généré par la hausse du prix du baril et la réorientation des exportations vers la Chine et l’Inde. L’effet récessif du conflit sur le PIB 2022 de la Russie est estimé à – 4%, si tant est que ce chiffre puisse être considéré comme fiable. Cela reste limité car notre dépendance aux énergies fossiles reste un très bon carburant pour l’économie de la Russie et ses budgets militaires. En Europe, les substitutions d’approvisionnement se font lentement, et l’excédent courant énergétique russe devrait se réduire en 2023. Si l’on admet que les politiques environnementales consisteront à passer beaucoup plus rapidement aux énergies propres et à fabriquer des produits plus durables, donc plus chers, cela implique qu’elles prendront demain le relais pour alimenter l’inflation par les coûts. Cela au moins jusqu’à ce que les systèmes productifs aient renouvelé leurs mix énergétiques, et réorganisé leurs chaînes de valeur de manière moins énergivore. Le débat « fin du monde contre fin du mois » va rester d’une grande acuité. Par ailleurs, l’un des problèmes du passage à l’électrique est que les ressources pour les batteries et l’électronique se trouvent souvent dans des pays totalitaires. La géopolitique énergétique et extractive restera donc problématique et pourrait alimenter de terribles conflits à venir.
Dans le secteur de l’alimentation, l’inflation a fait chuter les ventes du bio, qui est devenu trop cher pour de nombreux ménages. Le bio bon marché issu de l’Europe de l’Est fait défaut. Les grandes surfaces ont recours à des importations plus lointaines.
On observe aussi certains comportements opportunistes de la part de fournisseurs, lorsque leurs marchés sont oligopolistiques. La régulation des tensions entre la grande distribution et les agriculteurs reste compliquée, et le conflit ukrainien n’a pas amélioré le rapport de force en faveur des agriculteurs les plus précaires.
L’augmentation des budgets militaires tirera la croissance mais détournera une partie des investissements productifs et des aides étatiques vers le réarmement, alors que les besoins sont énormes pour financer la transition écologique, les retraites ou encore l’éducation. Néanmoins, le mérite du conflit aura été de jouer le rôle d’un catalyseur de la prise de conscience de la nécessité de produire et consommer l’énergie autrement.
Crédits – photographies : Pixabay, Jonathan Borba, Ann Bugaichuk
Image de mise en avant : domaine public, gouvernement d’Ukraine
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OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Renata Hosnedlova et Olivier Brossard (25 mars 2023). La guerre en Ukraine : ses enjeux sociaux, économiques et politiques. L'ŒIL DU LINQS. Consulté le 3 novembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12bdj